Réhabilitation du stade Demba Diop : un parfum de gros scandale financier
15 mars 2023Alors que le Sénégal célèbre les U20 du foot, champions d’Afrique de leur catégorie, la Fédération sénégalaise de football est au cœur d’une sombre affaire de gros sous.
Le football sénégalais serait-il incapable de parader sans tirer des casseroles ? La question s’impose car depuis près de 20 ans, ses fulgurantes montées au sommet sont presque toujours suivies de sombres histoires d’argent.
Vers le milieu des années 2000, au lendemain de l’épopée 2002 (finale de CAN et 1/4 de finale de Mondial), il y a eu le scandale des fonds de la Fédération sénégalaise de football (FSF) ayant conduit à l’emprisonnement de responsables fédéraux et de l’agent marketing de l’instance, à l’époque Massata Diack de Pamodzi.
Après la Coupe du monde 2022, dans la foulée du premier titre continental remporté au Cameroun (CAN 2021), il y a eu la polémique sur les généreuses primes des fédéraux membres de la délégation sénégalaise envoyée au Qatar.
La FSF épinglée par l’ARMP
Aujourd’hui, alors que sont encore célébrés les U20, champions d’Afrique de leur catégorie, au même titre que les Lions locaux, ceux de beach soccer et un peu plus d’un an après le sacre de la sélection A, il fleure bon un nouveau scandale financier au-dessus du ciel du football sénégalais.
Encore au banc des accusés : la FSF. L’affaire est révélée dans son édition de ce mercredi par le journal Libération. Elle concerne le projet de réhabilitation et de modernisation du stade Demba Diop. Selon le quotidien d’information, deux des cinq lots (2 et 5) du marché ont été remis en cause par le Comité de règlement des différends (CRD) de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP).
Le CRD a demandé à la FSF de rejouer le match. Pour vice de procédure, avant toute considération de fond. «Il apparaît de l’examen des pièces de la procédure que la FSF n’a pas utilisé les dossiers-types d’appel d’offres publiés sur le site officiel (de l’Autorité de régulation) des marchés publics», constate l’organe de l’ARMP.
Lequel tranche : «Il y a lieu en conséquence et, sans qu’il soit besoin de statuer sur le point relatif au rejet des offres, d’annuler la procédure de passation des lots 02 et 05, objets des recours contentieux déférés devant le CRD et subséquemment les décisions d’attribution provisoire desdits lots.»
Plus d’un milliard en jeu
Le lot 2 concerne l’aménagement de la zone de jeu et ses dépendances (terrain en gazon synthétique, drainage des eaux sur l’aire de jeu, arrosage automatisé de l’aire de jeu et assainissement des eaux pluviales). Le lot 5 porte sur la fourniture de mobiliers et d’équipements (sièges rabattables, équipements des vestiaires, des bureaux et salles de réunion, des espaces médicaux, des salons d’hospitalité, postes de travail des salles de presse, COS, salles de conférence de presse, restaurant, cuisine et bar, guichets, etc.).
Le premier, pour 588 millions 733 mille 860 francs CFA (TTC), a été attribué à DASL/Ventulereli et le second, d’un montant de 431 millions 272 mille 300, est allé à Al-Fatah Services.
La FSF a ouvert les plis et attribué les marchés le 19 avril 2022. Un peu plus de deux mois plus tard, trois plaintes tombent en cascade. Le 27 juin, GSEA (Groupe speedo Europe affaires) saisit le CRD pour contester le rejet de son offre pour le lot 5. Le lendemain, Tokossel Group SA dépose à son tour un recours contentieux pour le lot 2. Ces deux entreprises sont imitées, le 29 juin, par Contechs SURL, qui dénonce sa mise à l’écart pour le lot 5.
Avant de saisir le CRD, les trois plaignants avaient introduit un recours gracieux au niveau de la FSF. En vain.
Une réunion et plusieurs correspondances échangées avec les parties plus tard, l’organe de l’ARMP lance l’instruction du dossier. Il demande à la FSF de lui transmettre les documents de l’appel d’offres ainsi que ses observations sur les récriminations des entreprises plaignantes. L’instance s’exécute par courrier du 7 février dernier transmis par son avocate, Me Betty Ndiaye.
La surprenante réponse de la FSF
Tokossel Group SA assure avoir soumis, pour le lot 2, une offre technique et financière conforme et clame sa surprise de découvrir que le marché qui le marché a été attribué à DASL & Venturelli, une entreprise qui «n’a jamais soumissionné». De plus, signale le candidat recalé, le nom de l’attributaire n’apparaît pas dans le procès-verbal de dépouillement des offres du lot 2 où figurent tous les soumissionnaires : EG Travaux, CSTP, DABS, Tokossel Group, Aeltim Sénégal et Sport Galaxy.
Par ailleurs dans son recours gracieux déposé au niveau de la FSF, Tokossel Group souligne, d’après Libération, que «le montant de l’attribution provisoire est le même que celui de l’offre financière de DABS, soumissionnaire au lot 2 (et) qui, à son sens, ne saurait être attributaire dudit lot pour n’avoir pas rempli les critères de qualification exigés dans le dossier d’appel d’offres pour ledit lot».
Tokossel Group se dit surprise par la réponse du secrétaire général de l’instance sur ce point : «Le sigle DABS lu par la commission des marchés lors de la séance d’ouverture des plis n’a pas révélé la véritable identité du soumissionnaire, DASL, établie et vérifiable dans les pièces administratives fournies (registre de commerce, Ninea…). L’appellation officielle du soumissionnaire, DASL, a été alors prise en compte dans la suite de la procédure.»
Questions pour un champion
Libération rapporte que les responsables de l’entreprise plaignante n’en croyaient pas leurs yeux en lisant cette réponse de la FSF. Ces derniers croient connaître la vérité. Ils affirment : «DABS avait soumissionné en espérant que seuls des candidats ‘triés sur le volet’ allaient concourir alors qu’elle savait qu’elle n’avait absolument aucune qualification, mais ne s’attendait pas à rencontrer une concurrence sérieuse, ce qui l’a poussé à aller chercher un partenaire après coup et une autre dénomination pour concourir.»
Tokossel Group est d’autant plus sûre de son affirmation qu’elle juge «outrageusement bas» le montant de l’offre de DABS. Aujourd’hui, les questions se bousculent dans la tête de ses dirigeants. Ces derniers interrogent : «Comment la Fédération ose-t-elle affirmer que l’attributaire provisoire avait pris le soin de ‘cacher’ sa véritable identité au moment de soumissionner ? Et quel texte l’y autorise ? À quelle fin a-t-elle cherché à cacher son identité ? Pourquoi devrait-on croire la fédération lorsqu’elle avance que les pièces produites sont bien relatives au groupement ? Qu’est-ce qui l’empêcherait de croire qu’il y a eu substitution de dossier, après dépôt des offres pour en conformer le contenu à l’identité du candidat sorti à la dernière minute ?»
Pire, signale Tokossel Group, la FSF serait coupable d’avoir fait parvenir à DABS le procès-verbal recensant les identités et offres de tous les candidats retenus.
Lot 5, lot de contestations
Les deux autres plaintes concernent le lot 5. Contechs SURL conteste le rejet de son offre au motif qu’elle ne respecterait pas les critères de qualification, en l’occurrence les critères de capacité financière et de capacité technique.
L’entreprise plaignante signale qu’elle a réalisé au cours de ces trois dernières années un chiffre d’affaires moyen supérieur au minimum exigé (500 millions de francs CFA) et qu’elle a eu à équiper la Cour des comptes en matériels et mobiliers de bureau pour 656 millions 858 mille. Contechs SURL assure avoir versé dans son dossier les pièces justifiant ses capacités technique et financière ainsi démontrées.
GSEA conteste, pour sa part, que son offre ait été rejetée au motif qu’elle n’aurait pas été accompagnée des états financiers de 2019 et 2020 et de l’attestation d’une banque agréée lui garantissant une ligne de crédit permettant de couvrir les flux de trésorerie sur la durée du marché. L’entreprise a rétorqué qu’elle a bel et bien versé dans son dossier l’attestation du concours bancaire de la BNDE ainsi que ses états financiers de 2018, 2019 et 2020.
La FSF se braque, l’ARMP impose
En guise de réponse, la FSF a défendu l’incompétence du CRD à se prononcer sur cette affaire avant de dégager en touche les requêtes des soumissionnaires insatisfaits.
Malgré tout, le CRD a demandé à l’instance de gestion du football sénégalais de revoir sa copie. Cependant, signale Libération, l’organe de l’ARMP, considérant le but d’intérêt général du projet et son caractère urgent, a en même temps autorisé la FSF à relancer la compétition pour les lots 2 et 5 par appel d’offres restreint en procédure d’urgence tout en se conformant aux dispositions du nouveau Code des marchés publics.
Ceux qui rêvaient de voir le stade Demba Diop réhabilité et modernisé devront peut-être prendre le mal en patience encore pour un bon moment.